Jusqu’où ira l’Armée ?
Rupture & Indépendance…Jusqu’où ira l’Armée ?…
« l’indépendance n’est pas un état de choses,
c’est un devoir »
Vaclav Havel
La question essentielle de la «reconduction» de Abdelaziz Bouteflika cache en réalité un désarroi cruel dans lequel est plongée la la nomenklatura algerienne et elle nous ramène invariablement à ces interrogations : quid de l’Armée ?Mais surtout quid de la Société civile ?quid du quidam ?
Plusieurs lectures s’offrent à nous, toutes aussi valables les unes que les autres et sont conditionnées par les paramètres suivants :
- Que signifie une élection dans un pays comme l’Algérie?
- Que signifie voter ?
- Peut-on se voter et se faire élire sans passer sous les fourches caudines de l’Armée ?
- Qui doit décider de porter quelqu’un au pouvoir ?
- Pourquoi choisir quelqu’un pour une longue durée ?
- Comment sortir de ce piège ?
A première vue la question de l’élection présidentielle est insoluble ainsi que l’exprime en filigrane le discours pathétique des nombreuses forces en présence ( on pourrait dire sans trop se tromper, qu’il s’agit davantage de maillons faibles !) qui murmurent à qui veut l’entendre qu’il ne saurait y avoir d’élections.
Dans ces conditions, que veut on ?
Ceci nous ramène à la question centrale : jusqu’ou ira l’Armée ?
Peut on comprendre que l’Armée peut laisser « pourrir » la situation( au profit de qui ?) ou bien aurait elle dû intervenir plus tôt et surtout de manière plus énergique ? Mais souhaite-t-elle intervenir davantage dans la vie publique ?
Pour compliquer le débat, emportée par une logique implacable, la classe politique s’enferme et s’enferre dans un ghetto. Elle est alors jugée sans appel car elle ne participe pas à la culture démocratique en gestation mais donne l’impression, par une stratégie du Pouvoir, de reléguer en seconde position les intérêts supérieurs de l’Etat.
« …partisans de la politique politicienne…(les partis)…ont choisi l’obstruction et la démagogie avec comme arrière pensée l’espoir de récolter à l’avenir les voix de la base électorale de l’ex F.I.S… » (in El Watan du 06/12/93).
Ceci dit, pourquoi alors s’interroger et surtout s’étonner lorsqu’on préjuge de la capacité des formations politiques à être représentatives et aujourd’hui encore largement marginalisées ?
Nous sommes en face d’une évidence qui ne peut plus être occultée. Le dialogue, la réconciliation les élections n’ont jamais vraiment commencé ou du moins cela s’est fait sur des bases mouvantes.
Le débat, autre évidence, est sans cesse ramené de manière quasi obsessionnelle autour de l’Armée dont on attend tout mais qui « …veut éviter de jouer le 1er rôle…tout en étant empêchée d’échapper à son destin… ».(sic)
Ce dilemme laisse entrevoir la problématique à laquelle l’Armée se trouve confrontée et qui par un effet mécanique se trouve projetée au niveau de la Société Algérienne dans son ensemble et qui voit l’opposition réduite à deux tendances : l’une progressiste et démocratique, l’autre islamiste.
Dans ce magma où se situe l’Armée ? Est elle avec une de ces tendances ? Contre ? Au dessus ou non concernée car garante des institutions issues d’une volonté populaire qui a eu a s’exprimer de manière souvent ambiguë.
Il est vrai qu’à plusieurs reprises, l’Armée a exprimé ses positions. On peut les résumer sans peine : état de droit, républicain, démocratique, basé sur des valeurs nationales, la religion islamique et la culture algérienne. Mais tout cela relève plus d’un effet de manches.
Ce clair obscur est plus troublant qu’il ne rassure. Car si toute la grande majorité de la société partage ces conceptions, pourquoi ces fondations solides n’ont elles pas permis à un projet moderne de se concrétiser ?
Nous arrivons là à un nœud du problème : qu’est ce qui pourra permettre à l’Algérie de sortir de la crise multidimensionnelle qu’elle subit dans l’angoisse ?
Beaucoup revendiquent à grands cris une rupture avec un système jugé obsolète qui doit être reformé. Untel doit partir; il faut organiser des élections, redistribuer les cartes … mais au profit de qui ?
En 57 années d’indépendance, l’Algérie a connu plusieurs dirigeants, plusieurs modèles économiques, plusieurs institutions et il a fallu user sans vergogne de divers stratagèmes pour habiller les propositions de changements.
Résultat, c’est tout un pays qui malgré ses richesses naturelles, son potentiel humain, ses ressources intactes, dérive au gré des flots emportant les forces vives de la Nation sur des embarcations d’infortune.
Ici apparaît dans toute sa dimension la difficulté de rassembler autour d’un projet commun démocratique ou même islamiste et le seul consensus qui paraît s’être fait tourne autour d’une lutte anti terroriste qui a endeuillé des millions de familles et dont chacun ignore tout.
Au-delà chacun ne vit que pour lui. Et dans ce cas il n’y a plus de dialogue, pas d’élections, plus de Société. Il n’y a plus rien !
Ce que les états majors politiques demandent avec une naïveté inquiétante au système mis en place il y a un quart de siècle, c’est tout simplement de mettre fin à son existence, autrement dit de s’auto dissoudre. Est ce bien raisonnable ? Et est ce là que réside véritablement le problème ?
D’ailleurs, quels que soient les hommes qui se sont succédés, quelles qu’aient été les crises souvent violentes, quelles que soient les tentatives d’ouverture, de verrouillage, de dialogue…le système fonctionne, perdure et s’auto alimente à une source dont on semble avoir perdu la trace.
Que faire, encore une fois ?
Quels que soient les pseudo messages distillés, quelles que soient les luttes intestines, il est clair que l’Armée est incontournable. Une évidence qui peut paraître aussi naïve qu’irresponsable ! Mais qu’il faut cependant énoncer.
Avec certes une nuance. Il ne faut pas chercher coûte que coûte à obtenir le soutien d’une armée qu’on dit vieillie, corrompue et qui aurait la mainmise sur tout le pays.
Il ne faut surtout pas chercher coûte que coûte à obtenir son soutien et encore moins son investiture. l’Armée Doit être au-dessus des luttes partisanes. Elle l’a montré une fois pour routes en ouvrant la voie de l’indépendance.
L’Algérie doit apprendre à réfléchir par elle-même et retrouver les traces qui auraient permis d’ancrer le pays dans la modernité.
La véritable rupture se situe précisément là : Dépasser les nationalistes obsolètes et anachroniques , aller au delà du message originel et agir de manière adulte, responsable. C’est cela être indépendant.
C’est cela que « La Rue» algérienne vient de démontrer avec une maturité qui l’honore.
LePouvoir, quant à lui, lui s’est déshonoré.
Aziz Farès