Quand le Québec doit composer avec l’islamisme…
Michel Desautels et l’écrivain Aziz Farès discutent de l’Algérie des années ’90 qui niait l’existence d’une menace islamiste et du Québec actuel qui ‘ne comprend pas toujours’ la menace à laquelle il doit faire face
L’animateur Michel Desautels a reçu l’écrivain Aziz Farès pour parler de son dernier livre L’encre des savants est plus sacrée que le sang des martyrs lors de son émission du 24 avril 2016. Ensemble, ils ont discuté du déni de la menace islamiste par les élites algériennes dans les années ’90 et de l’incapacité des élites du Québec actuel de pleinement comprendre la signification de tous ces signes qui annoncent des lendemains qui déchantent.
Présentation de l’émission (SRC) – Aziz Farès est algérien. Dans les années 90, il fuit la guerre civile qui déchire son pays pour venir s’installer au Québec, synonyme pour lui de paix. Il trouvera surtout une terre d’accueil confrontée à une réalité déstabilisante : l’émergence, à l’intérieur de ses frontières, d’un islamisme qui cache de moins en moins son identité. Farès s’interroge : la démocratie québécoise sortira-t-elle indemne d’un combat qui semble déjà lui échapper?
MICHEL DESAUTELS – Il y a quelques mots qui frappent dans votre livre. Vous dites à un moment donné «Mon Québec, mon Québec, je ne le voyais pas comme ça. Quand je suis arrivé, je voyais l’ouverture, l’accueil, la tolérance, etc. Puis, tout à coup, ils se sont passées des choses… Il y a des gens qui, sous le couvert de la religion, d’une société trop accueillante font des choses qui font que, finalement, ce que j’avais fui…, commence à me faire craindre un peu». Je résume mais il y a beaucoup de ça dans votre réflexion.
AZIZ FARÈS – Absolument. D’ailleurs, c’est un peu parti de ça. Mon Québec, c’est pour dire que, oui j’ai fui la dictature de l’islamisme en Algérie qui s’est imposée de plus en plus d’ailleurs, en me disant : bon, bien c’est fini, je vais aller ailleurs, je vais essayer de finir mes jours dans les meilleures conditions possibles. Aller au Québec pour travailler, pour vivre… Et puis, je me suis rendu compte, au fil du temps, que, malheureusement, cet intégrisme terroriste islamiste, oui j’ajoute tous ces mots…, il s’est propagé. Il s’est propagé à une vitesse incroyable dans le monde entier et le Québec qui semblait à l’abri de tout ça s’est retrouvé en première lignée face à un combat qu’il ne comprend pas toujours.
MICHEL DESAUTELS – Lorsque sont arrivés les Frères Musulmans qui ont occupé une place de plus en plus importante dans la société algérienne : ils ont commencé à monopoliser les centres communautaires, l’école, l’enseignement, etc. Les idées se sont répandues, puis le Front islamique du salut s’est constitué comme entité politique, puis il y a eu des affrontements. Il y avait beaucoup de signes avant-coureurs mais rien qui nous permettait de comprendre qu’on allait arriver avec 200 000 morts et une guerre qui va déchirer le pays pendant dix ans.
AZIZ FARÈS – Oui, effectivement. Il y a eu cela mais, en même temps, il y a eu une espèce de déni. On n’a pas voulu voir ça. On a pensé, et c’est pas propre à l’Algérie… Par exemple, ça a été valable en Libye, en Égypte, le pays des Frères Musulmans par excellence. On n’a pas voulu voir ça comme un danger. On s’est dit : on a le pouvoir, on va contrôler les choses, on va contrôler les élections, les pseudo-élections et puis, il n’y a aucun risque, il n’y a aucun danger. Il s’est passé ce qui s’est passé. En ’91, il y a eu des élections, des pseudo-élections. Le Front islamique du salut a gagné ces élections. Vraiment ? Pas vraiment ? Trucage ? L’histoire le dira. Mais ça a surpris tout le monde et il y a une espèce de déni : je suis au pouvoir et je fais ce que je veux et je laisse les choses aller. Il n’y a pas eu de véritable gestion. Il n’y a pas eu de vision de la politique.