Penser
«La langue arabe ne peut aller loin. Si elle ne bénéficie pas de toute la richesse du dialectal, elle est condamnée à mourir ou restera une langue des mosquées et servira aux prêches du vendredi.»
En tenant ces propos, Amin Zaoui jouait à la perfection son rôle d’intellectuel : penser.
Penser afin de faire réfléchir et faire avancer la conscience de l’homme jusqu’à sa propre limite, c’est-à-dire l’infini.
Amin Zaoui savait sans aucun doute qu’il donnait la parole à Pandore qui ne pouvait plus alors éviter de briser des tabous. Le débat amorcé comme un projectile a fait mouche et immédiatement a dérivé sur la religion.
Etait-ce le but visé par Zaoui ? C’est peu probable. La réflexion proposée par un auteur parfaitement bilingue dérange en fait le microcosme enfermé dans la doxa d’une identité bancale qui oscille entre langue et religion comme une girouette affolée.
Il faut avant tout comprendre que Zaoui encourage la langue arabe, il la défend, la parle, la maîtrise et souhaite la voir rayonner, non pas exclusivement comme langue liturgique, mais comme langue vernaculaire qui s’insère dans la vie quotidienne en irriguant la pensée collective.
Que s’est-il donc passé pour que des fantassins montent aux barricades en traitant un intellectuel algérien, et non des moindres, d’agitateur inconscient ? Le vieux Sigmund aurait de quoi se frotter les mains en voyant crépiter les neurones des «gardiens de l’orthodoxie linguistique».
Freud aurait pu dire que Zaoui a provoqué une blessure narcissique, une béance qui déstabilise des individus qui font la confusion entre langue arabe et langue du Coran, une hypothèse qui peut effrayer mais qu’il faut affronter.
Tout, en effet, repose sur la croyance irraisonnée qui nous persuade que nous serons engloutis dans le trou noir de l’ignorance si nous «rejetons» ce que nous croyons être nous.
Je n’occulte pas un fait indéniable : le Coran a bel et bien été révélé en arabe.
Que dire lorsqu’on sait que seuls 20% des musulmans sont arabes ? Que va-t-on faire du milliard d’Indonésiens, d’Afghans, d’Iraniens, de Chinois, d’Indiens… qui ne parlent pas un traître mot d’arabe ?
J’ai déjà entendu dire que tant qu’il y aura des musulmans, l’arabe continuera d’exister. C’est une prétention hasardeuse qui n’explique pas qu’il y ait encore des chrétiens qui ne parlent plus le latin, qu’il y ait encore des juifs qui ne parlent plus l’hébreu ancien et les Grecs d’aujourd’hui auraient du mal à lire et à comprendre les textes originaux de Platon, Aristote ou le théorème de Pythagore, en langue originale.
La langue arabe évoquée par Amin Zaoui risque de connaître le même sort et devenir une langue morte consacrée à la liturgie si, et ce point est capital, elle ne fait pas l’effort de s’adapter à la vie moderne en intégrant, en assimilant les mots des sociétés qui, elles, évoluent en forgeant le vocabulaire le mieux approprié à la communication des individus. Croire que la langue arabe est éternelle parce que celle du Coran c’est prendre le risque de l’enfermer dans le carcan d’une pensée mortifiée.
Une langue vit, grandit et se transforme pour sans cesse s’efforcer de dire une réalité en constant mouvement.
Ainsi que l’explique Jacqueline Chabbi dans son livre Le seigneur des tribus : «L’homme impliqué souvent universalise et détemporalise sa croyance et son action comme s’il était lui-même le seul référent et le seul garant de leur validité.»
Sacraliser la langue arabe et prendre le Coran en otage, c’est risquer de trahir une pensée géniale, une pensée qui a su évoluer durant l’apostolat du Prophète qui a duré vingt ans. Une période courte dans l’histoire de l’humanité mais qui, pourtant, a permis à une société tribale de bâtir une grande civilisation que des soldats de plomb sont en train de détruire.
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