Bigoterie
En 1943 j’ai fait ma Communion solennelle, sorte de renouvellement solennel des promesses du Baptême d’être chrétien. Nousétions nombreux si nombreux que la cathédrale de Constantine était pleine. Il se trouvait que mon oncle Robert, l’abbé Vega-Ritter, poète à ses heures, avait été ordonné prêtre dans cette même cathédrale, avant de mourir en 1939.
Il se trouvait aussi que cette même cathédrale était une ancienne mosquée, d’avant la prise de Constantine, magnifique, couverte de superbes mosaïques avec des versets du Coran.
Les sermons de cette communion ont marqué ma vie d’enfant. On m’y apprit que l’hostie consacrée pendant la messe était devenu par la transsubstantiation le corps véritable du Christ, au point que la mâcher était interdit sous peine de commettre un blasphème, nous martelait le bon prêtre. La laisser tomber parterre était non moins blasphématoire. Suivait un récit de quelque blasphémateur qui avait accompli ce geste horrible.
Par une extrême ironie, ces propos étaient tenus sous l’égide, sur une mosaïque, d’un verset du Coran célèbre ‘ Il n’est de Dieu que Dieu’ verset admirable qui abolit et répudie toutes les idolâtries, les édifications de choses en dieux, l’abaissement de Dieu, infini, saint et mystérieux en chose qu’on pourrait soumettre et manipuler.
Le bon prêtre, sans le savoir, se livrait lui-même à une forme de blasphème par la chosification de l’Esprit.
Je l’ignorais et fus longtemps profondément marqué, par la peur du blasphème, du geste blasphématoire involontaire ou inconscient, qui trouvait sa source dans le règne des choses, dont j’eus du mal à me délivrer.
L’irrévérence voltairienne et la moquerie féroce des icones humaines détruit les idoles instaurée en faux dieux. Elles sont saines. Les caricatures du Pape ou des clergymen pleins d’onction hypocrite et menteuse de Punch ou des illustrateurs des romans de Charles Dickens, où j’ai passé une partie de ma vie, font plus pour libérer l’Esprit, reformer les moeurs et faire avancer l’amour de la justice que des tonnes de sermons de dévots dévidant des milliers de chapelets, parfois en pillant ou laissant piller leur prochain.
Il est vrai que Voltaire n’était pas lu dans nos lycées coloniaux, où la laïcité etait lettre morte.
Aujourd’hui ce sont des islamistes fanatiques ou bigots qui confondent le dessin avec l’esprit infini, qui réduisent un prophète à sa représentation chosifiée. Dieu, le Christ , Mohamed, les grandes femmes ou hommes, sont toujours au delà des choses ou des formes qui les représentent, de façon bien ou mal intentionnée. Inversement des gestes pieux, même civiques, qui chosifient l’invisible ou la Vie tuent l’Esprit et déclenchent l’horreur.
Les grands chefs d’oeuvre de Delacroix ouvrent l’espace et la matière vers l’infini et l’invisible. Les Mausolées de saints à Konia ouvrent vers des ailleurs sublimes.
De mon ami Max Vega-Ritter