Souvenirs d’en face !
C’était une petite rue tranquille en haut de la colline qui veillait sur la ville.
Toutes les rues de ce quartier portait un nom de fleur ; lilas, cyclamens, bleuets, mimosas, glaïeuls, pavots, et celle des acacias petite impasse qui menait à Diar el Mahçoul, immense cité qui se voulait moderne et qui avait pris la place de champs de blé au pied du Fort des Arcades qui dominait la mer, cette méditerranée si bleue, si belle, si calme.
Il y avait un jasmin dans tous les jardins. Un jasmin de nuit qui fleure bon dès le coucher du soleil. Des parfums enivrants se répandaient alors, mélangés et uniques à la fois. Le galant de nuit offrait ses senteurs au basilic, le thym courtisait l’oranger et le figuier, débonnaire, offrait ses fruits avec sa générosité légendaire.
Tout le monde se connaissait ; les garçons jouaient au football, les filles à la marelle. Nos mères, préparaient le repas avec toujours des douceurs secrètes.
Toutes les femmes étaient nos mères et on les appelait ma tante, khalti et tous les hommes étaient nos pères que nous gratifions d’un bonjour mon oncle, aami !
Souvent l’un d’entre nous portait un grand plateau chez Bouaazda le boulanger pour faire cuire un gâteau ou du pain, le four familial étant trop petit. Et nous nous délections, en chemin des divines surprises qui nous attendaient.
Un peu plus haut on voyait la Villa Alba, majestueuse, blanche énigmatique. Nous n’osions pas trop nous en approcher et sans y entrer, nous imaginions des histoires extraordinaires. Son jardin, immense et fleuri, donnait la réplique à celui d’un vieil homme que nous respections beaucoup. Assis sur sa chaise devant les grilles de sa maison, sa canne à la main, un chapeau feutre sur la tête, il regardait les gens passer et répondait à leur salut.
A la sortie de l’école, chaque jour, rituel immuable et exquis, c’était la halte chez le khfeifdji, le marchand de beignets où je prenais ce que je voulais et que mon père passait payer en fin de semaine. Des beignets croustillants, cuits dans une grosse bassine remplie d’huile bouillante et de laquelle s’échappait un parfum magique.
Je passais par la placette où les bus s’arrêtaient, terminus indispensable pour ensuite repartir, dans une incessante noria, vers des destinations secrètes que je ne pouvais qu’imaginer.
En fait ce n’étaient pas des bus, mais des trolley-bus qui tendaient leurs longues perches vers des fils électriques vivants. Spectacle exceptionnel qui donnait vie à tout le quartier et aussi à toute la ville.
Le receveur, à l’arrière faisait payer les gens avec souvent un sourire discret et courtois qu’il cachait derrière une grosse moustache impeccablement taillée.
Tout dans son attitude inspirait le respect. Son uniforme bleu, ses insignes sur la veste, ses chaussures toujours bien cirées et sa chéchia rouge portée avec honneur lui donnaient un air altier qui m’impressionnait.
Je rêvais de voyages chimériques.
Prendre le trolley-bus était à chaque fois une aventure surtout lorsque nous devions passer par l’étroit chemin des Crêtes. Là, il fallait toute la dextérité du chauffeur et du receveur qui devaient faire descendre les perches électriques afin de laisser passer l’autre trolley qui venait en sens inverse. Une manœuvre qui se faisait toujours au même endroit.
Nous racontions alors, en détail, à chaque fois, rituel plaisant, ce merveilleux voyage qui faisait sourire nos parents.
Il faut dire que tout semblait extraordinaire. Les histoires se fondaient dans les légendes et nous parlions, avec une exquise frayeur du Ravin de la Femme Sauvage que nous pouvions atteindre en descendant la cote des 700mètres que nous dévalions parfois en carriole à roulement.
Qui était donc cette Femme que personne n’avait jamais vu ou rencontré.
Ce n’est que bien plus tard que l’on m’a raconté une histoire que je veux toujours croire et que je garde comme un secret.