Je pleure.
Après les indigènes, ce fut le règne de l’indigence mentale de gouvernants sans gouvernail qui naviguaient à courte vue qui ont fait exploser une bombe tout aussi meurtrière; bombe à retardement qui a fragmenté la Société Algérienne en une myriade d’émirats. Que dire de ces ministres en quête d’une retraite dorée dans une ambassade occidentale ou dans les pays du golfe , de ces députés marrons qui brillent par leur absence et leur incompétence grassement payée , de ces apparatchiks sortis de nulle part qui tentent d’entrer au forceps dans une vie mondaine sur le compte de la Banque d’Algérie, de ce premier ministre dont les blagues ne font plus rire, de ce chef de l’Etat devenu invisible et qui ne dirige plus rien …Que dire , sinon pleurer.
Je pleure mon oncle kidnappé dans la nuit coloniale puis envoyé comme » cobaye » à Reggane,
je pleure mon cousin, un des premiers médecins de l’ALN, mort au combat, et dont la mère, ma tante n’a jamais pu faire le deuil,
je pleure sur mes espoirs garrotés dès l’indépendance ,
je pleure ces combattants de la Liberté garrotés par « leurs frères d’armes »,
Je pleure Didouche Mourad, mon voisin qui me tenait la main,
Je pleure Mouloud Mammeri, mon prof qui souriait,
Je pleure Mouloud Feraoun qui me racontait l’Histoire de mon pays,
Je pleure ces officiers au coeur pur qui se sont sacrifiés ,
Je pleure mon père, rescapé de ces sinistres camps qui laissent des séquelles,
Je pleure ma mère, ma grand-mère au courage consciencieux ,
Je pleure ces inconnus qui auraient gagné à être connus,
Je pleure Bentalha et Tibhirine,
Je pleure ces fantassins, discrets djounoud qui se sont dévoués et sont rentrés chez eux sans rien demander, avec le sentiment du devoir accompli,
Je pleure ces enfants de Novembre, de décembre, de Juillet , ces enfants des douars, des quartiers miséreux qui chantaient à tue tête un Hymne à la Liberté en portant fièrement les couleurs vert blanc rouge comme un défi,
je pleure devant les visages tristes des grands mères silencieuses, devant les femmes dont le courage a été volé recouvert du voile de la traîtrise, femmes dont le seul »crime » était… d’être des femmes,
je pleure sur les tombes béantes des harragas dévorés dans le silence de la mer,
Je pleure Hassiba Benbouali, Djamila Boupacha, Djamila Bouhired, et aussi Aicha, Warda, Zineb, Khedidja, Meriem,
Je pleure mes amis lâchement, sauvagement abattus par des hordes barbares,
Ahmed Issad, Boucebci,Saïd Mekbel, Hafid Senhadri, Djillali Liabès, Tahar Djaout, M’hamed Boukhobza, Abdelkader Alloula, Azzedine Medjoubi, Cheb Hasni, Rachid Baba Ahmed, Lounès Matoub,
je pleure car je ne sais rien faire d’autre que pleurer,
Personne ne m’a appris à espérer.
Je pleure.