Islam et Identité Nationale
Par Zahir Farès.
L’Islam, en Algérie, a été en même temps « l’être et le faire », donnant ainsi à l’homme une conscience de son milieu et, simultanément, la faculté d’y marquer son empreinte. Que celle-ci s’efface, ou qu’il ne sache pas l’interpréter au point de vouloir retrouver l’islam c’est, encore, affaire de mémoire. Car, culturellement, l’homme algérien, comme tout ce qu’il fait, est entièrement déterminé par l’Islam.
De récents événements dans le monde, nous montrent que la mémoire finit toujours par affleurer dès que la cohésion et le sol perdent leur caractère évident. C’est pour cela que l’ensemble des mouvements nationalistes, ont voulu renouer les fils épars de la mémoire d’un peuple attaché à l’Islam et à son sol, les deux seuls référents qui lui restaient.
C’est un fait historique constaté que l’Islam est une religion dont l’expansion fut exceptionnelle. La rapidité avec laquelle l’Islam s’est répandu, tient, semble‑t‑il, à la clarté de ses dogmes, à la facilité de ses préceptes et à l’équité de ses lois. Il est dit : « Voici un livre dont les versets ont été développés clairement »
L’histoire du Maghreb va être indissolublement liée à celle de l’Islam. Les mouvements, résultant des équilibres remis en cause entre pasteurs et sédentaires, trouveront dans la foi un moteur puissant et une finalité plus humaine. À la simple conquête du pouvoir d’une tribu sur d’autres va succéder une dynamique visant la réforme des mœurs et l’instauration d’institutions à vocation universelle. La Cité corrompue par le pouvoir doit se rénover au nom de l’unicité de Dieu.
Dans ces conditions, la succession des royaumes et des empires entre le Vème siècle et 1830 a progressivement, forgé une identité nationale, qui s’est exprimée par l’assise territoriale de ces mêmes constructions politiques, la cohésion culturelle et sociale, le sentiment d’appartenance à une communauté plus vaste, rendue plus sensible par la connexion des réseaux commerciaux.
C’est là un fait que l’on ne peut imputer qu’à l’Islam qui, en moins de trente ans, a unifié les tribus d’Arabie, et qui en l’espace d’un siècle, s’est étendu de la Chine à l’Océan Atlantique. La conquête de l’Espagne dura, quant à elle, trois ans de 711 à 714 et la présence musulmane dans ce pays sept cents ans.
Vaste ensemble, politiquement uni, mais non uniformisé, derrière un État symbolisé par le Califat, une religion, une même langue, le tout soutenu par une économie puissante.
Là où elle arrivait, cette religion semble n’avoir pas suscité d’hostilité. « Car, si d’une façon générale, la nature humaine exige une religion, elle demande à cette religion ce qui est plus conforme à ses intérêts ». L’islam a donc contribué à homogénéiser un espace humain dans lequel l’homme se sentait partout chez lui. « Quand on lit les voyages d’Ibn Batouta, on est frappé de le voir chargé de rendre la justice aux rives de l’Indus lui qui vient de Tanger… il connaissait la Loi, la seule qui eût cours en terre d’islam. L’unité de croyance faisait unité de législation, puisqu’il n’y avait d’autre législateur que Dieu ». Souci de paix et de sécurité ; écho à des « tendances démocratiques, égalitaires et cosmopolites », expliquant ainsi, la rapidité de l’extension.
Facteur de cohésion sociale, l’Islam est aussi un élément d’unification économique permettant aux populations concernées, comme le note M. Lombard, de mettre leurs ressources, qui étaient déjà importantes, « à la disposition de circuits commerciaux élargis et d’activités économiques dilatées. »
Cet énorme et vaste ensemble, ou mieux encore, ce marché commun sans bureaucratie, sans frontières internes, avec une seule monnaie, l’or, constitué en moins d’un siècle, comporte des terres agricoles fertiles, de grands ports maritimes et fluviaux, des cités caravanières ouvertes sur la Mésopotamie, et au-delà du Sahara. Les échanges sont, par ailleurs, soutenus grâce à l’injection d’un stock d’or stérilisé, jusqu’ici, dans les palais sassanides ou les églises byzantines, ainsi que celui provenant des mines d’or du Sooudan.
Si le monde musulman est selon M. Lombard, « à l’intersection des grandes routes du commerce du temps », le Maghreb central, l’actuelle Algérie, en fut, très vite, son carrefour méditerranéen. Ensemble de routes parallèles s’étendant, tout d’abord, d’Est en Ouest sur mer, avec leur prolongement sur l’Espagne et la Sicile le long des hauts plateaux, et, enfin la route des Qsours, première intersection avec celle du Sahel africain et les villes de Gao, Bilma, et Awdagost, et, plus tard, Tombouctou.
Les points d’intersection de ce vaste quadrillage de réseaux routiers sont, principalement, les villes de ; Tahert, fondée en 761, capitale des Rostémides jusqu’en 908 ; de Msila, fondée en 927, par les Fatimides ; d’Ashir, entre la vallée du Chlef et les monts du Hodna, fondée par les Zirides en 935. Comme les villes de Médéa, à l’est d’Ashir, et de Miliana, sont autant de relais vers la mer et aboutissent en particulier sur El Djazaïr.
La Qal’a des Banu Hammad, fondée par le fils puîné de Bologhine en 1007, témoigne, par son architecture reprise de celle de Bagdad, d’un pouvoir fort et organisé, jusqu’à sa fermeture, pour cause d’arrivée des Hillaliens, au profit de la nouvelle capitale, Bejaia. A l’ouest les villes de Tlemcen et d’Oujda furent créées par les Zanata en 994.
Ces principaux nœuds routiers desservaient, ainsi, le Monde méditerranéen, le Sahel saharien, et l’Orient; brillante appropriation d’un espace à trois composantes.
Monde structuré et homogène, qui n’a connu qu’une seule perturbation extérieure au Maghreb celle des Banu Hillal qu’Ibn Khaldoun compara à «des sauterelles y, dévastant le Maghreb.
Lorsque, par suite de la perte de l’Espagne, l’histoire du Maghreb s’est trouvée intriquée dans les relations avec le monde chrétien, alors que l’Orient devait faire face aux invasions des croisés, aucun prince, aucun roi chrétien n’a tenté de s’aventurer dans les terres maghrébines et particulièrement celles de l’Algérie. Même Tunis, après la reconquête de la Sicile, n’était pas sur le chemin de Damas pour les croisés !
Mais, « le rappel de ce dont la civilisation moderne est redevable à l’Islam, n’est sain et compréhensible que si cela doit déboucher sur une nouvelle saisie de la rationalité posée non pas comme une donnée exclusivement européenne, mais comme quelque chose qui nous est historiquement familier, qu’il suffirait de réactiver en devenant nous-même ». Pour cela il faut aussi prendre la mesure du milieu naturel et de ses modes d’appropriation par l’homme à travers le temps.
Et se répand encore notamment en Afrique et en Europe en particulier, où il tend de plus en plus à la seconde place.
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Abdo, op cit., p. 278.
Coran ch 41 Verset 2.
Abdo op citée p 278.
B de Jouvenel, op cii., p. 329.
Maurice Lombard, L’Islam dans sa première grandeur. p. 18. Éditions Flammarion collection Champs.
Id p 22.
La décentralisation était telle, qu’« à partir de 827, la monnaie d’or sera fabriquée dans toutes les villes principale~, occidentales, comme orientales. » M. Lombard, op cit., p 185.