Le café des délices
Hamid Grine m’avait dédicacé son livre « le Café de Gide »* avec ces quelques mots « à Aziz Farès, le revenant qui n’est jamais parti ».
Le ton était donné et je me suis laissé entrainer dans un Biskra dont j’ignorais presque tout, pour ne pas dire tout, où tout restait encore à découvrir mais aussi où tout se savait.
Mais qu’est ce que l’on peut cacher à Biskra, petite bourgade au milieu de nulle part, perdue entre le sud et le nord ? Là où, l’espace d’une rencontre, tout peut arriver. Alors je suis parti pour revenir.
Hamid Grine a le talent de dire les choses simplement, d’écrire comme on parle à un ami qui vous écoute, attentivement, et qui veut comprendre le fin mot de l’histoire. Cette histoire où se mêlent, enchevêtrés, les tabous les plus forts que nous n’osons transgresser.
Gide est-il le prétexte pour pénétrer l’insondable secret que l’on tente de percevoir aussi dans le marc de café?Un café, celui de Gide où les parfums exhalent des senteurs coupables qui nous mettent face à notre destinée. Des hommes, juste des hommes, fiers de l’être, fiers à bras, qui s’enveloppent soudain dans le voile transparent de leur intime réalité. Des hommes qui jouent comme des enfants à ces jeux interdits que le temps ne parvient pas à faire oublier. Et les souvenirs se fondent, lancinants, tendrement, dans un va et vient d’abord timide pour finir haletants.
Ce Café a des airs, des allures, de château mystérieux dans lequel le Grand Meaulnes entrevoyait une histoire, la sienne, la nôtre.
Mais qui dit mystère dit aussi étrange, fascination pour l’interdit, pour « la faute » commise.
Dis toi, toi qui lit, qui écrit, qui parle, que tout cela est peut être vrai. Que tu es l’écrivain qui (se) raconte une histoire pour prendre le large, enfin, et trouver la réponse à la question que tu n’oses te poser.J’ai parcouru le temps avec Hamid Grine qui « lui au moins est lisible » et qui « écrit mieux que Gide » !
Mais quand le temps s’est-il arrêté ? En quelle année, en quel siècle, à quelle date ? Les dattes c’est d’ailleurs ce qui fait la renommée de Biskra, mielleuse, douce, parfumée, sucrée, porteuse des plus folles espérances. Serait-ce le fruit défendu ?!.
Ce récit où coule le lagmy enivre et fait perdre la notion du temps.
Nous sommes alors dans l’illusoire dimension où devient possible. L’imaginaire s’empare de nos sens émoussés et il faut abandonner, las, fourbus, toute velléité de résistance.
Mais si les dates s’envolent comme un papillon fragile, à quoi peut-on se raccrocher ? Il n’y a plus rien d’autre que le souvenir projeté sur l’écran de notre histoire. Celle que l’on enjolive, celle que l’on enrobe de mots doux comme pour se racheter d’un passé immérité.
Hamid Grine écrit « …quand on est jeune, on voit les autres à travers nous-mêmes : on est endurant, vigoureux, infatigable ? Les autres le sont aussi. Et s’ils prétendent le contraire, c’est qu’ils mentent ou ne veulent pas. Ce qui revient au même. A cette période de la vie, on ne voit pas large. On est égoïste. On voit juste ce qui nous intéresse. Et ce qui m’intéressait, c’était la vie de Gide à Biskra ».
Quelle vie ? Celle de mœurs relâchés, de plaisirs coupables, de rêves enfouis ? Celle d’espoirs secrets quand les « chèches » se déroulent et les « djebbas » révèlent des douceurs espérées ?
Chut ! il ne faut pas en dire plus. Juste aller, sans se retourner, pour parcourir dans le silence complice, les allées du jardin Landon et de la Palmeraie Ouardi.
« Gide aimait beaucoup les enfants », « eh oui » !
Il aimait Biskra , la reine des Zibans, la tolérante que Hamid Grine aime aussi. Pour d’autres raisons, plus raisonnables, bien sûr ! Plus raisonnable, Biskra ?
Ce ne sont pas des commérages ni des propos de café du commerce ( un commerce illicite !). Juste le regard porté sur la vie, sur le temps, sur l’histoire, sur l’espoir et sur le désespoir.Gide aimait-il à ce point le café ? . Un café qui existe vraiment, nous dit Grine. Etait ce pour l’amertume, le regret des jours fébriles ?Hamid Grine , comme moi, est un revenant . Il n’a jamais quitté Biskra .
Et Gide peut en témoigner.
Aziz Farès, 2009.
*Hamid Grine, le Café de Gide Editions Alpha 2008